Mineurs isolés étrangers à Paris


Sévère rappel à l’ordre

du Défenseur des droits

à l’Aide sociale à l’enfance de la capitale


L’avis du Défenseur des droits sur « la situation dramatique des mineurs étrangers en danger en région parisienne » était attendu avec une grande impatience par les quinze organisations qui l’avaient saisi le 13 avril 2012 (cf. leur communiqué de presse du 16 avril 2012).


Dans la décision du 29 août 2014 qui vient de leur être notifiée, le Défenseur des droits dresse un constat accablant pour les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Paris.

S’il se dit

« conscient du nouvel enjeu qui entoure l’application de la circulaire du 31 mai 2013 de la garde des sceaux, ministre de la justice »

qui a pour objet d’organiser une meilleure répartition des Mineurs isolés étrangers (MIE) sur l’ensemble du territoire -, le Défenseur des droits multiplie les critiques et formule de nombreuses recommandations.

Il s’interroge d’abord sur la base légale de la

« permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers » (PAOMIE)

créée par le département de Paris et confiée à France terre d’asile (FTDA).

Il constate que la mise en place de ce dispositif a conduit un acteur associatif à aller au-delà de sa mission et à écarter de son propre chef du bénéfice de la protection de l’enfance près de 50% des jeunes en 2012 et 2013, sur des bases souvent arbitraires.


Il estime par ailleurs que la PAOMIE, agissant sous la responsabilité de l’ASE de Paris, a :

  • outrepassé ses attributions et compétences en portant des appréciations sur la validité des actes d’état civil présentés par les jeunes ;

  • fait une mauvaise appréciation du critère de l’isolement en écartant « du dispositif de protection de l’enfance des jeunes effectivement isolés […], indépendamment de leur situation de danger effectif » ;

  • laissé à la rue, sans aucune prise en charge, « pendant des mois, de nombreux jeunes de plus de 17 ans, dont la minorité n’était pas contestée » ;

  • porté « des jugements empreints de stéréotypes non pertinents pour la qualité de l’évaluation », c’est-à-dire - en gros - rejeté beaucoup de jeunes « à la tête du client » ;

  • placé des mineurs pour une simple « mise à l’abri » sans statut juridique dans des conditions d’hébergement parfois indignes et ne répondant pas aux critères exigibles pour des lieux accueillant des mineurs ;

  • négligé de fournir aux jeunes déclarés majeurs et donc ne bénéficiant pas d’une prise en charge, les informations nécessaires au respect de leurs droits.


S’intéressant à l’accompagnement des mineurs pris en charge par les services de l’ASE, le Défenseur des droits déplore des placements à l’hôtel avec un suivi éducatif « très succinct et limité » ou inadapté à leur situation, ainsi que des pratiques de refus de scolarisation ou de formation professionnelle pour les jeunes âgés de plus de 16 ans.


À plusieurs reprises, le Défenseur des droits « se réjouit » de certaines améliorations récentes que FTDA et le département de Paris ont apporté à leur dispositif, reconnaissant ainsi la réalité des dysfonctionnements dénoncés par les organisations à l’origine de la saisine du Défenseur des droits. Mais c’est pour ajouter aussitôt son regret de constater la persistance de traitements qu’il dénonce.

Les signataires de la saisine du Défenseur des droits estiment, comme lui, que la situation des mineurs isolés ne s’est pas réellement améliorée à Paris.


Ils saluent cette décision et le « mea culpa » de l’ASE de Paris et de FTDA qui avaient jusque-là récusé toutes les critiques.


Ces organisations ne peuvent pas oublier les centaines de mineurs isolés étrangers laissés en danger et dont l’avenir aura été impunément saccagé.

C’est pourquoi elles demandent que des décisions soient prises par le département de Paris dans les plus brefs délais pour que cesse le scandale du traitement des mineurs isolés à Paris.


Paris, 24 septembre 2014

Organisations :

ADDE / DEI France

Centre Primo Levi

Collectif de vigilance Paris 12 pour les droits des étrangers

Fasti

Gisti

Ligue des Droits de l’Homme – Fédération de Paris

Mrap

RESF Ile-de-France

Syndicat des avocats de France

Syndicat de la magistrature

La Voix de l’enfant.

Tex. de la saisine
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Action collective :


Enfants étrangers à la rue en Région Parisienne

Quinze organisations saisissent le Défenseur des droits

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

ADMIE / CGT-PJJ / La Cimade / Collectif de soutien des exilés Paris / DEI France / Fasti /Gisti / Hors-la-Rue / Ligue des Droits de l’Homme / Mrap / RESF / Sud Collectivités territoriales du CG 93 / Secours catholique-Réseau mondial Caritas / Syndicat de la magistrature / La Voix de l’enfant

 

Paris, le 16 avril 2012

 

Quinze associations et syndicats ont décidé de saisir le Défenseur des droits de la situation dramatique des mineurs étrangers en danger en région parisienne.

 

Depuis quelques mois, la situation des mineurs isolés étrangers a connu une nouvelle dégradation. Jamais autant de ces enfants n’ont été laissés en errance, à la rue jour et nuit, y compris au plus fort de l’hiver.

Pour ces jeunes, l’accès à une protection relève du parcours du combattant.

Soupçonnés en permanence de mentir sur leur âge ou sur leur situation, ils font face à la défiance et au rejet des institutions en responsabilité de les accueillir, à commencer par les conseils généraux.

 

Plutôt qu’organiser leur prise en charge, les institutions responsables de l’accueil des mineurs multiplient les obstacles : sous-traitance de leur accueil, rejets purs et simples sur la base d’entretiens expéditifs surtout fondés sur l’apparence physique, utilisation quasi systématique de l’« âge osseux » dont l’absence totale de fiabilité est démontrée depuis des années par les scientifiques, etc.

 

Pour les mineurs qui franchissent malgré tout ces multiples barrières, la garantie d’une véritable protection est loin d’être assurée.

Pour beaucoup, elle ne comporte aucune prise en charge éducative.

Elle se limite à une mise à l’abri sous forme de placement à l’hôtel sans formation dans l’attente de la date fatidique de leur majorité.

Cet « accueil » vécu comme une charge financière insupportable conduit le plus souvent ces jeunes regardés comme des étrangers avant d’être considérés comme des enfants à un avenir de sans-papiers, alors qu’une véritable prise en charge pourrait leur permettre d’obtenir un titre de séjour à leur majorité, gage de leur insertion dans la société.

 

Ces pratiques sont graves.

Elles exposent ces jeunes déjà vulnérables à la précarité la plus extrême et au monde de la rue. Indéfendables sur le plan moral, elles sont avant tout illégales au regard du droit français comme des textes internationaux, en particulier de la Convention internationale des droits de l’enfant.

 

C’est pourquoi les organisations signataires interpellent aujourd’hui le Défenseur des droits et lui demandent d’agir le plus vite et le plus fortement possible pour exiger des pouvoirs publics la protection effective de ces mineurs dans le respect de leurs obligations légales comme des plus élémentaires principes d’humanité.

Il y a urgence.

GISTI – 09-2013 I Adjie - Aide et défense des jeunes isolés étrangers


Permanence d’accueil et d’orientation

des mineurs isolés étrangers (PAOMIE)

une moulinette parisienne pour enfants étrangers


Le Conseil de Paris a confié le premier accueil des jeunes étranger∙e∙s isolé∙e∙s à France Terre d’Asile(FTDA). Cette association assure ainsi depuis septembre 2011 une part des activités du pôle accueil du Secteur éducatif des mineurs non accompagnés (SEMNA) des services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) via la Paomie(Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers).


Le rôle de la Paomie est d’évaluer la situation de chacun de ces jeunes

« afin de s’assurer de sa minorité et de son isolement »,

explique le site web de FTDA, et de fournir à celles et ceux qui sortent de cet examen avec un avis favorable une première « mise à l’abri », c’est-à-dire un hébergement provisoire, en attendant qu’une véritable prise en charge soit, ou non, décidée.


Ces vérifications n’ont pas commencé avec la création de la Paomie, en 2011. A Paris, il y a longtemps qu’il ne suffit pas d’être à la fois mineur∙e et isolé·e pour bénéficier de la protection de l’enfance en danger. Or, la loi prévoit que minorité et isolement sont synonymes de danger.

À Paris, et dans un nombre croissant de départements à la suite du « modèle » inventé par la capitale, la réalité de la minorité et de l’isolement sont systématiquement considérés comme douteux, voire frauduleux. On les passe donc « à la moulinette » à l’aide d’outils qui ont évolué : le premier - l’examen médical osseux - étant devenu ringard à la suite de nombreuses critiques scientifiques, FTDA a proposé une méthode présentée comme « à la page », à savoir un entretien d’évaluation au terme duquel il serait possible d’aboutir à une certitude intuitive.


Depuis longtemps, le Conseil de Paris justifie le sas ainsi mis en place dans l’accueil des mineur∙e∙s isolé∙e∙s étranger∙e∙s (MIE) par le poids financier de leur prise en charge :

« La collectivité parisienne accueille à elle seule près du tiers de l’ensemble des MIE présents sur le territoire national(…). Depuis 2009, Paris a connu une augmentation très importante du nombre de Mineurs Isolés Étrangers, fuyant la misère ou des pays en guerre afin de trouver une protection en France. Alors qu’ils n’étaient que 690 en 2007, ce sont désormais plus de 1 800 MIE qui bénéficient d’un placement auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance »,

peut-on ainsi lire dans un récent communiqué de la Ville de Paris.


D’autres départements que Paris se plaignent des coûts induits par ce qu’ils estiment être « des flux considérables ». Toutes ces plaintes ont conduit à une circulaire nationale du 31 mai 2013 modifiant les modalités de prise en charge des MIE. Elle vise à instaurer leur répartition entre départements. Les débuts de l’application de ce dispositif ne portent guère à espérer que les MIE seront mieux accueilli∙e∙s dorénavant en France...


Quand on observe les pratiques de la Paomie à Paris, on voit comment un sas devient vite un filtre, c’est-à-dire un outil d’élimination de jeunes qui devraient au contraire bénéficier d’une présomption de minorité. Conçu pour débusquer parmi les jeunes celles et ceux qui mentiraient, tricheraient, essaieraient de bénéficier abusivement d’un dispositif de protection qui ne les concerne pas, le dispositif repose sur un tel a priori de suspicion qu’il détecte des coupables à n’importe quel prix.


On peut en juger sur pièces. L’Adjie, permanence inter-associative créée en octobre 2012, a en effet pu recueillir des mains de quelques dizaines de jeunes (parmi les presque 500 venu∙e∙s la consulter) des comptes-rendus de leurs entretiens à la Paomie (et dont, sauf insistance, on ne leur remet jamais la copie).


Au travers de ces quelques « fiches d’évaluation et information préoccupante », se lit un degré assez inouï de suspicion, de méfiance et de doute érigé en impératif pour nombre des jeunes salarié·e·s qui mènent l’enquête.


Dans ses recommandations du 19 décembre 2012, le Défenseur des droitsinsistait pour que le processus d’évaluation préalable à l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance « soit guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant et soit mené de manière bienveillante, par des professionnels qualifiés ».


À l’heure où les évaluations de type Paomie viennent d’être généralisées sur l’ensemble du territoire par la circulaire du 31 mai 2013, il nous a semblé intéressant de permettre à chacun de juger à quel point celles-ci pouvaient être utilisées avec malveillance et en totale contradiction

avec l’intérêt supérieur de l’enfant.


La trame des entretiens figurant sur ces fiches prévoit de passer en revue les informations sur l’état civil du jeune, sur les documents susceptibles d’attester de cet état civil, sur son récit, son itinéraire, son apparence physique, son comportement pendant l’entretien... Les extraits recensés ici, et qui ont tous entraîné une remise à la rue du mineur « évalué », peuvent porter sur chacun de ces éléments.

On voit comment tout peut être, jusqu’à l’absurde, objet de suspicion, dès lors que le postulat de base est que beaucoup des jeunes qui demandent à être pris∙e∙s en charge par l’ASE ne seraient ni mineur∙e∙s ni en danger ; seulement des étrangers et, en plus, vécus comme insupportablement nombreux.

Le 25 Septembre 2013

Organisations signataires membres de l’Adjie :

  • ADDE, Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers

  • Admie, Association pour la Défense des Mineurs Isolés

  • CGT PJJ, Confédération générale du travail / Protection judiciaire de la Jeunesse

  • Collectif de soutien des exilés du 10ème

  • Collectif de vigilance du 12ème

  • DEI-France

  • Famille assistance

  • Fasti, Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleur-euse-s Immigré-e-s

  • Gisti, Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s

  • Journal du droit des jeunes

  • Ligue des droits de l’Homme

  • Mrap, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples

  • RESF, Réseau Éducation Sans Frontières

  • SUD Collectivités territoriales du Conseil général 93

  • Sud culture-section MJC 75

Signataires associés :

  • Centre Primo Levi

  • Syndicat de la Magistrature

Extraits provenant de fiches individuelles d’évaluation rédigées par des agent⋅e⋅s de la PAOMIE après leur entretien avec les MIE : http://www.gisti.org/spip.php?article3137